La plupart des syndicats des enseignants et personnels d’éducation appellent à une grève nationale ce jeudi 13 janvier 2022 des écoles, collèges et lycées. Un enseignant et une conseillère principale d’éducation témoignent de leur situation et répondent à nos questions.
Depuis le 3 janvier 2022, jour de rentrée pour les élèves de primaires et de secondaires et leurs personnels d’éducation, la situation est alarmante. Les raisons : la 5ème vague du Covid-19 et les protocoles qui changent toutes les semaines.
Les chiffres explosent, les enfants sont de plus en plus exposés au risque d’infection… et leurs enseignants aussi. Le Ministère de l’Éducation Nationale instaurent des protocoles sanitaires et les changent aussitôt. En conséquence, la plupart des syndicats d’enseignants ainsi que les personnels de direction et d’inspection appellent à une grève nationale ce jeudi 13 décembre.
Qu’en pensent les enseignants ? Quelle est leur situation ? Comment vivent-ils cette rentrée ? Quelles sont leurs revendications ?
On donne la parole à un enseignant et une conseillère principale d’éducation aux avis différents.
Allez-vous participer à la grève du 13 janvier ? Pour quelles raisons ?
- François*, professeur d’histoire et géographie dans la Sarthe : « Oui je vais très certainement faire grève. Ras le bol d’exercer un métier déconsidéré par le gouvernement ! Les enseignants sont de plus en plus mal dans la société… Épuisement, colère, manque de considération, mépris… Tous ces sentiments se sont amplifiés au cours de la semaine dernière jusqu’à devenir insupportables. L’école craque et quand les personnels attendent une réaction efficace de la part de leur ministre, celui-ci brille par son absence, ses hésitations et son inaptitude à gérer la situation. Nous en sommes à 50 protocoles sur 22 semaines! »
- Juliette*, conseillère principale d’éducation dans le nord Indre-et-Loir : « Oui je serai gréviste ce jeudi 13 janvier, pour la première fois, tout comme l’intégralité de ma vie scolaire. Les derniers protocoles sont ingérables, il nous est impossible à l’heure actuelle de faire notre travail sereinement. J’ai l’impression d’être agent de contact tracing. Mon quotidien et celui de mes assistants d’éducation est rythmé par les évacuations, les appels de parents furieux, fatigués, dépités (et à juste titre !), les contrôles de test ou attestation sur l’honneur. On demande aux établissements, et surtout aux vies scolaires, de gérer tout cela, sans nous donner les moyens qui vont avec. Nous ne sommes pas invincibles, le Covid nous touche aussi. Nous avons deux fois plus de travail, sans pourtant qu’on nous donne les moyens de remplacer notre personnel malade… »
Quels sont vos sentiments face au Covid ? Quel est votre ressenti par rapport aux protocoles mis en place ?
- François : « Nous les enseignants sommes à priori immunisé face à ce virus, le gouvernement ne nous fournis pas de masques, pas de test pour nous. Seuls les élèves comptent alors qu’il y a quelques mois ils ne pouvaient pas être porteurs du virus. Les enseignants sont un personnel de première ligne qui doit s’adapter chaque jour … distanciel et presentiel, on doit tout faire! Alors ne parlons pas de nos salaires! Au rythme où on va un simple smicard aura un salaire plus élevé qu’un enseignant à bac + 5! Mais c’est vrai nous les profs, on ne travaille pas 50h semaine simplement 18 en moyenne donc pourquoi nous revaloriser… Le prof doit se taire aujourd’hui et acquiescer d’après les nouveaux textes de l’Éducation Nationale. Notre libre arbitre, on s’en moque »
- Juliette : « Je n’ai pas les informations, les connaissances et les compétences nécessaires pour juger les décisions prises depuis le début de cette pandémie. Il y aura toujours des mécontents pour chaque décision prise. Une chose est sûre je n’aimerais pas être à leur place et devoir prendre ces décisions. Comme tout le monde j’ai envie que tout cela se termine car psychologiquement cela devient difficile à gérer. Je regrette malgré tout le manque d’honnêteté, surtout concernant les derniers protocoles mis en place à l’école. Plus de test PCR ou antigénique quand un élève est cas contact ? Un simple auto test et une attestation sur l’honneur ? Autant nous dire directement que la nouvelle stratégie est de viser l’immunité collective ! Mais on sait que ça ferait désordre d’annoncer cela à la télévision, ça reviendrait à dire qu’on accepte qu’il y ait des décès, ce n’est pas politiquement correct. Notre cher premier ministre nous annonce un troisième protocole en une semaine le lundi 10 janvier, mettant en avant le fait de soulager les parents et les élèves. Quel soulagement de devoir mettre un coton tige dans le nez de son enfant 3 fois en une semaine en connaissant le taux d’efficacité de ces tests ! En tant que maman, je ne ferai pas subir cela à mes filles, si elles sont cas contact je les isolerai pour 7 jours. En tant que CPE, comment pourrais-je donc imposer autre chose aux parents ? Je peux malgré tout entendre que les parents ont besoin d’aller au travail face au manque de souplesse de certains patrons. Les grands perdants de tout cela restent les élèves qui subissent de bien des manières depuis deux ans ».
Que souhaitez-vous à la suite de cette grève ?
- Juliette : « J’espère que cette grève sera massivement suivie pour que le gouvernement et surtout notre ministère entende notre ras le bol. Malheureusement les dernières déclarations de notre ministre, Mr Blanquer, me laisse penser que c’est peine perdue. Je suis peu optimiste sur l’effet de cette grève, mais à râler dans son coin sans agir, on n’obtient rien ! Je souhaiterais surtout que notre ministère revoit sa façon de faire notamment dans leur communication. Nous sommes fatigués d’apprendre après tout le monde les nouvelles mesures à appliquer. Ça ne me semble pourtant pas bien compliqué d’envoyer les directives par mail avant de les balancer sur BFM ! Sans parler du fait que ces protocoles nous sont toujours envoyés à la dernière minute, sans toutes les infos nécessaires afin que nous puissions répondre aux diverses questions des parents. Le dernier exemple en date ? Nous avons appris le mardi 11 Janvier par des parents que nous devions fournir des attestions stipulant que leur enfant était bien cas contact afin que les parents puissent bénéficier des auto test gratuits en pharmacie. Bien sûr nous n’avions eu ni l’info, ni les documents nécessaires… Nous sommes le mercredi 12 janvier au soir, nous n’avons reçu à cette heure qu’une partie de ces infos/documents pourtant annoncées au JT il y a deux jours… Comment ne pas être fatigué et dépité du peu de considération qu’on nous accorde… »
Si vous aviez un mot à dire concernant votre métier et les conditions dans lesquelles vous le pratiquez aujourd’hui ?
- Juliette : « Aujourd’hui c’est sans entrain que je vais au travail. La grande question chaque matin c’est de savoir combien d’élèves je vais devoir évacuer, combien d’élèves en mal-être je n’aurais pas le temps de recevoir et écouter en raison de ces protocoles complètement ingérables. On nous demande de laisser de côté nos tâches du quotidien pour gérer l’urgence, comprenez le Covid ! Tout ce temps, je ne peux donc plus le consacrer à mes élèves pour les former, les écouter, les accompagner… pour autant les difficultés scolaires, familiales, sociales sont toujours là, voire même s’accentuent. Les rapports d’incidents s’accumulent également sur mon bureau sans que je trouve le temps de les traiter. Tout ce retard, ma conscience professionnelle fait que je veux à tout prix le rattraper, et cela se fait le soir, le weekend ou même en allant au bureau pendant les vacances… Je fais actuellement du bénévolat pour l’éducation nationale car bien évidemment ces heures ne sont ni payées ni récupérées… Je ne suis pas convaincue que mes assistants d’éducation et moi tiendront bien longtemps à ce rythme dément, tant sur le plan physique que psychologique ».
Le Parisien faisait part d’ailleurs que: « Le Snuipp-FSU, premier syndicat du primaire, a annoncé ce mardi que 75 % des enseignants du premier degré seraient grévistes et que la moitié des écoles seraient fermées jeudi ». Alors que Jean Michel Blanquer assurait sur le plateau de BFMTV mercredi 12 janvier, « c’est dommage d’avoir une journée qui va perturber davantage le système ».
*Noms d’emprunt.